Si les anglo-saxons sont souvent admirés pour leurs qualités en matière de prise de parole en public, Dominic Cummings fait figure d’exception. Ce dernier s’est en effet illustré de façon désastreuse en mai dernier alors qu’il devait s’expliquer publiquement après avoir enfreint les règles du confinement qu’il avait lui-même contribué à établir. Revenons un instant sur le scandale qui a occupé les médias britanniques durant le confinement et voyons quels enseignements communicationnels nous pouvons en tirer.
Don’t do as I do, do as I say
Plus haut conseiller de Boris Johnson depuis juillet 2019, Dominic Cummings est l’homme non élu le plus puissant de Grande-Bretagne. Cerveau principal de la campagne « Vote Leave », c’est lui qui a inventé le slogan très controversé selon lequel voter pour quitter l’UE permettrait d’augmenter les dépenses du National Health Service (NHS) de 350 millions de livres sterling par semaine. Oui, le gros chiffre trompeur sur le double decker bus, c’est lui ! Fan des slogans, il fut l’un des artisans du dernier slogan en date du gouvernement : « Stay alert, control the virus, save lives », qui de par sa formulation pour le moins abstraite n’a pas manqué de créer la confusion parmi la population.
Fin mai 2020, tandis que l’épidémie ne cesse de progresser dans le pays et que le peuple britannique est soumis à des règles de confinement strictes, deux journaux britanniques révèlent que Dominic Cummings n’aurait pas respecté les règles en vigueur. Après avoir obtenu le soutien du Premier ministre, le conseiller spécial du gouvernement finira par reconnaître la véracité des informations : il a bien quitté Londres et parcouru 260 miles (près de 420km) avec sa femme et son fils pour rejoindre ses parents à Durham, alors même que sa femme et lui présentaient des symptômes de la covid-19. Une fois sur place, il n’est pas resté complètement confiné puisqu’il est parti en excursion avec ses proches à 40 minutes de là, à Barnard Castle.
Comment justifier de tels actes alors que toute une population avait pour ordre de sacrifier son mode de vie pour protéger des vies, que le Premier ministre lui-même s’employait à répéter dans les médias « restez à la maison » et que certains n’avaient pas le droit de voir leurs proches mourants ?
Ce fut tout l’enjeu de la déclaration de Dominic Cummings du 25 mai 2020.
Naufrage botanique au 10 Downing Street
LE CHOIX DU LIEU
Les médias sont conviés pour une conférence de presse dans le jardin du 10 Downing Street, lieu habituellement réservé aux ministres, fonctionnaires et élus. Et hop, voilà Dominic Cummings qui trébuche dès la première marche ! Intervenir depuis le rose garden est perçu comme un signe de privilège et renforce l’idée qu’il serait au-dessus des règles qui s’imposent à tout le pays.
Mais au fond, cela semble être plutôt calculé. En effet, on le comprend lors de son intervention, son message n’est pas « je présente des excuses » mais « je veux bien présenter des explications, toutefois je ne démissionnerai pas, voyez la confiance que me porte Boris Johnson en me laissant m’exprimer depuis le jardin du 10 ».
Enseignement : le lieu d’une intervention est symbolique et véhicule à lui seul un message. Il conditionne votre public avant même que vous n’ayez pris la parole. Aussi, après avoir réfléchi au message que vous souhaitez transmettre, interrogez-vous : est-ce que le lieu choisi, de par son nom, sa fonction et son histoire, va bien dans le même sens ?
LA PRÉPARATION
Dès qu’il s’assoit derrière la table, on comprend que Dominic Cummings est prêt à consacrer du temps à cette conférence de presse. Il prend d’abord une quinzaine de minutes à lire, assez rapidement, un récit détaillé des faits. Puis il accorde 45 minutes de questions/réponses aux journalistes présents.
La construction du déroulé est assez déséquilibrée et laisse une grande place aux questions acerbes. Cet agenda aurait cependant pu être pertinent et soutenir une volonté de transparence et de dialogue avec les médias si Dominic Cummings s’était bien préparé à l’exercice des Q&A.
C’est malheureusement lors de cette longue séance qu’il perd le contrôle : il réfute en bloc les reproches qui lui sont faits, cherche ses mots, fait de grands silences et reporte à plusieurs reprises la faute sur sa femme. Bien évidemment, c’est ce que les médias choisiront de retenir.
Enseignement : pour vos conférences de presse et réunions à fort enjeu, préparez systématiquement la séance de questions/réponses avec le même soin que vous préparez votre discours car l’exercice comporte des risques et vos réponses seront le plus souvent reprises comme information principale.
LA LIGNE DE DÉFENSE
Durant une heure, Dominic Cummings s’attachera à défendre « son discernement face aux règles établies ». Il explique que les règles en vigueur ne stipulent pas quoi faire dans chaque situation et que par conséquent il a exercé son jugement dans des circonstances exceptionnelles (deux parents présentant des symptômes avec un enfant en bas âge). Il utilise en outre des arguments farfelus comme lorsqu’il justifie son trajet à Barnard Castle pour « tester sa vue » avant de faire le long trajet retour Durham – Londres.
Son interprétation des règles est un argument difficile à entendre pour le grand public. En effet, s’il a exercé son jugement, cela voulait-il dire que chacun pouvait en faire de même, en fonction de sa situation ? Si cela dit quelque chose, c’est bien que les règles énoncées au préalable n’étaient pas claires. En tout état de cause, la ligne de défense de Dominic Cummings ne résiste pas à un examen logique. Il le reconnaît d’ailleurs volontiers quand il déclare : « reasonable people may well disagree ».
Enseignement : les arguments les plus forts sont ceux qui sont simples à retenir. Dans un contexte de crise, qui plus est sanitaire, il n’y a pas de place pour le discernement. Les règles énoncées doivent être explicites. N’oubliez pas, les préalables à la transparence sont : la précision, la simplicité et l’équité.
L’INTERPRÉTATION
Que retiendront les médias de l’intervention de Dominic Cummings ? « I don’t regret what I did », sa réponse à la première question posée par une journaliste.
Il affirme ne rien regretter tout en omettant de présenter ses excuses. Or, la première règle de la communication de crise est l’empathie. C’est sans doute ce qui fait le plus cruellement défaut à Dominic Cummings. Si on écoute bien les 15 premières minutes de son intervention, on entend qu’il reconnaît que les citoyens ont pu connaître des situations terribles, que nombre d’entre eux ont souffert et ont pu, à juste titre, être choqués par son attitude. Cependant malheureusement, il ne le fait avec aucune sincérité. Il lit son texte à vive allure, sa voix est monotone, ses mains montrent des signes d’impatience. Son intention est claire : en finir le plus vite possible. Il n’y a aucune manifestation d’empathie dans sa voix ou son regard. En d’autres termes, son langage corporel ne dit pas ce qu’il est en train de verbaliser. La dissonance est frappante et fait de cet exercice un échec.
Enseignement : la façon dont vous dites les choses est au moins aussi importante que ce que vous dites. Ne vous dites pas après avoir écrit votre texte que le travail est fait. Le plus important reste à faire. Car si vous avez fini votre job de parolier, il vous reste encore celui d’interprète.
En résumé
Cette conférence de presse démontre en partie l’étendue du pouvoir de Dominic Cummings au sein du gouvernement mais nous rappelle aussi que les conseillers techniques font souvent de piètres communicants. Ils auraient sans doute besoin de davantage préparer un tel exercice de prise de parole et d’être accompagnés.
De manière générale, quel que soit votre poste, n’attendez pas d’être en mauvaise posture pour vous former à la communication orale. Les écueils à éviter sont nombreux et en quelques séances vous pouvez acquérir les bons réflexes, utiles en toute situation.